6 août 2016

PANOPTICA DEVIENT PANTOPICA

10 mai 2016

1 avr. 2016

Cassette 33 longue durée*



"Je n'ai rien à dire de ce que je pense et de ce que je fais, aujourd'hui, par ce que tout cela est déjà écrit, dans des textes récents et anciens de moi, et que j'ai déjà fort à faire avec ceux-ci, c'est-à-dire que dans quelques écrits que ce soit de moi il y a très souvent, trop souvent, une idée juste, c'est-à-dire une idée actuellement juste, pour quelques dix années seulement, prise dans une image fausse, ou dans un ensemble d'images faux, c'est-à-dire impensable, impossible dans le réel actuel, mais dans un réel d'une acuité beaucoup plus longue que la précédente. Je n'ai rien à dire parce que je suis vraiment ignorant, ignorant du droit, ignorant du sexe, ignorant de la psychanalyse ancienne et moderne, ignorant de la philosophie, ignorant de la science. Je n'ai rien à dire aussi et surtout parce que j'ai peur.

J'ai peur de quelque chose de très précis, qui m'est extérieur et intérieur à la fois, qui me regarde et que je regarde, et qui est la folie.  Je pèse le mot et je dis, et j'écris surtout : folie. J'ai peur parce que, aussi profond que j'aille dans moi-même, j'y retrouve toujours la même chose, c'est-à-dire l'homme. J'ai peur parce que je dois manger de la bête tous les jours. J'ai peur parce que mon sexe costaud arqué vers le bas par la coutume de masturbation ne peut convenablement agir dans l'opération sexuelle dite de base, parce que cet organe ne peut pénétrer que plié en deux dans le trou de l'autre.

L'eau casse le bâton. Mon organe ne tient pas les promesses de mon corps, de ma stature. Il tient plutôt de la mamelle paternelle, et beaucoup s'en contentent. J'allaite, j'allaite. 

J'ai peur parce qu'avec l'âge les journées d'adultes se font de plus en plus courtes en regard de celles de l'enfance, si longues parce que l'enfant n'a pas de sexe, et ce, quelle que soit la saison. J'ai peur parce que je n'ai de haine ni de mépris pour personne. J'ai peur parce qu'écrire me séparent de la horde. J'ai peur parce que je peux encore tourner par écrit autour de ma folie. J'ai peur parce que j'ai de plus en plus peur de me retourner sur ce que je viens d'écrire, comme si peut-être je craignais de faire disparaître ainsi le seul objet, la seule durée avec lesquels je sache encore tenir le souffle. J'ai peur, mais cela depuis toujours, j'ai peur pour les autres. Peur pour leur sécurité. Peur quant à la sauvegarde de leur survie organique, juridique, administrative, mentale. Sur ce dernier point je n'ai pas assez progressé dans le respect de la liberté de l'autre. Si je savais enfin pénétrer dans l'autre, le violer, peut-être aurais-je moins peur pour sa vie. Toutes ces peurs ne sont pas des craintes, ce sont des terreurs. Je n'ai peur ni de moi–je l'ai prouvé–ni de ce sexe, ni de ces trous auxquels il devrait se plier, ni de ces bouches qu'il allaite, ni des hommes ni des femmes–je l'ai prouvé–, mais j'ai peur de l'histoire."

 

Pierre Guyotat, Vivre, édité en 1984. Ed. folio 2003 p.187 et suivantes.

*Cassette 33 tours longue durée",  texte tiré d'un entretien avec Mathieu Lindon, Denis Jampen et Dominique Savoye, Minuit, n°23, mars 1977.