17 nov. 2013

IGNOTI NULLA CUPIDO



J’éteins la lumière, je souffle sur la flamme de ma conscience pour la libérer des dernières bribes de rationalité. Je coupe le courant pour me mettre en position d’attente du joli plug chromé de Mon Maître. Switchée la chienne.
À ce moment je sais que quoi qu’il arrive je remets ma vie entre ses mains.
Cela fait plusieurs heures que j’ai le souffle coupé à l’idée de savoir que nous allons nous retrouver. Alors que je m’affaire et me concentre à grand peine pour accomplir mes tâches quotidiennes, lever les enfants, les langer, les écouter, leur sourire, essayer que le sourire ait l’air sincère, mon esprit est déjà tourné vers le scénario qui doit se dérouler à quelques mètres d’ici, à quelques heures de là.
Je rince l’assiette et la range sur l’égouttoir. Mon regard se tourne irrésistiblement vers le cadran de l’horloge qui indique 19H45. Plus qu’une heure et quinze minutes et je devrai partir. Je dois me préparer et ne rien négliger dans tous ces rituels qui attisent le brasier de mon entre cuisse. Ce qui m’anime plus que tout est de penser que je me rends sur le lieu de mon dernier rendez-vous. Que je vais me passer de la poudre sur le nez une dernière fois, embrasser mes enfants pour ne plus les revoir. Je sens monter en moi la peur. Vais-je survivre à cette séance. Vais-je encore y trouver du plaisir. Il n’y a pas de doute, c’est bien lui que je vais rejoindre. Il sera là. Fidèle à nos rendez-vous et d’une ponctualité sans failles.  Mais au fond qui est-ce. Qui est cet homme d’ailleurs. Christophe. Serge. Saura-t-il entendre lorsqu’il sera encore temps de s’arrêter? 

Une dernière fois. Mon reflet sur le chrome. Vérifier ses cheveux. Oter à toute vitesse les derniers morceaux de cache-sexe. Exit le coton. Welcome le latex.

Move the STOP switch down.

Bruit puissant du barilier. La porte s’ouvre directement sur la rue, pour laisser entrer le froid de cette nuit de novembre. La tête à l’envers, perchée sur mon escalier, je ne peux m’empêcher de le regarder. Pourtant je sais que je n’ai pas l’autorisation. Mes yeux doivent toujours rester baissés et ne pas croiser son regard. Je ne suis pas digne de Mon Maître.

Gosh, j’ai bien cru ne plus jamais le revoir.

Hors champ. Dans cet espace, pas de place aux amertumes ou aménités. Aux surfaces lisses ou aux aspérités que nous imposent la vie en société. Toutes nos forces sont concentrées sur la ligne que l’un et l’autre, traçons dans l’espace. Une sorte de boucle formant un va et vient vertical permanent entre la soumise et son Maître. Le symbole de l’infini. Cet éclat scintillant bourdonne sournoisement pour embrasser nos deux corps inextricables. Je me suis souvent demandé si nous percevions tous les deux ce ronflement. Une sensation d’acouphène oxydant et qui ne s’arrête que lorsque nous nous quittons. Ses mains accueillant de multiples accessoires sont irrémédiablement attirées par ma peau diaphane. Et sans cesse ses muscles observent ma souffrance, sa sueur me transperce par tous les orifices. 


PLEASE Press the opposite side to the symbol of the switch down.


Les six coups de badine ont retenti sous mes ongles et sur mes os. La maîtrise s’est révélée plus ardente, et coup après coup, la passion s’est faite plus cinglante. Je trouve le répit sur ses pieds, je profite de l’instant pour me délecter de sa voute. Ces atmosphères dans lesquelles nous sommes perchés dans un état de grande confusion procurent une acuité étonnante. Le cocktail Endorphine Adrénaline Ocytocine qui macère en moi depuis des heures, a rendu mon con obscènement purulant et mon cul outrageusement béant. Dans cet effort insistant de Mon Maître à vouloir défoncer mon bassin et dans lequel je finis par ne plus pouvoir distinguer laquelle des parties est sollicitée, j’attends ce moment où un membre entier de son corps, son poing, sa tête liquidée en cire perdue, trouvera dans l’écrin de ma chair un parfait moulage d’antimatière.