Je voulais t’écrire une lettre qui ait un rapport au temps,
une lettre qui parlerait de toi, qui parlerait de nous et notre histoire
déroulée dans une abstraction diffuse du
temps.
Comme si nous étions deux corps mouvants se déplaçant dans la brume épaisse d’un matin
frais. Deux corps qui s’aperçoivent parfois, qui se reflètent de temps à autre
près d’un étang et deux corps qui disparaissent l’un de l’autre. L’un dans la brume ou dans l’image de l’autre,
évanescents, pétrifiés dans le trouble et le tumulte de l’autre. Au moment où
je te perçois, poindre le bout de ton œil brillant, seul un morceau de toi se
démêle dans la vapeur opaque et pourtant, à ce moment-là, à cet endroit-là, c’est
bien toi tout entier que je trouve là. Quel est ce temps, quel est ce moment
où tu es là mais où je ne vois pas, où tu es là
mais je ne perçois pas, où tu es là
mais je ne sens pas. Ce n’est ni hier ni demain, ce n’est ni clair ni
obscur, c’est là, à cet endroit-là, à ce moment-là. Est-ce là une image qui se
propose à moi, une présence, un visuel, une impression, une abstraction, une
sensation : es-tu léger, es-tu massif, es-tu mort, es-tu vivant ? Le
temps-être, le maintenant vivant. D. est le temps. Et je sens à l’écriture
de ces mots sa présence, en moi, infinie.
La forme pure à chaque instant. La capture fugace d’un équilibre
parfait. Ici et maintenant. Et le temps subsiste. Le temps vole au-dessus de
nos têtes. Mais qui es-tu toi dans le nuage épais, es-tu l’odeur, es-tu
l’horreur, es-tu l’amour, es-tu le crime, es-tu le maître, es-tu le chien,
es-tu affecté, es-tu indifférent ? Tu es, dans toute ta place l’infinie
manière. Et je dis bien manière ; gai ou triste, actif ou passif. Tu es
dans toute ta transparence le remplissage du vide. Tu tiens entre deux de tes
doigts l’imparfaite rondeur cosmique de ton œil. Tu es le tout, tu es ma
partie. Aussi grand que puisse être
notre astre nocturne, la lune et le ciel se logent tout entier dans cet œil fractal et panoptique qui renvoie à des
milliards d’étoiles aussi proches que lointaines.
Tout cela n’est peut-être pas très clair, mais pourtant, il
te situe là où tu n’es pas. Il te ne fige pas à un endroit où tu es censé te
trouver.
Entre la forme et l’informe, entre le fini et l’indéfini, tu
es là. Tout entier. Tu captures le temps par ta mouvance, ta disparition avant,
ta disparition après. Ta présence avant, ta présence après. Ton absence à
l’instant T. Un envol, un survol, un élan, qui ne peuvent se saisir que par un
processus d’indifférence et de retrait, où l’on oublie son égo pour atteindre
l’écoulement du temps, une pure vacuité mentale, où naît l’éveil à l’événement.
Ton coup de clave est le miroir de mes émotions, ton fouet fendant l’air est l’immensité du
monde. Ta main sur ma peau diffuse le goutte-à-goutte de ma poche à perfusion
endomorphique. Ta mouvance est l’océan
de ma perte.
Ta volatilité est
l’étang de mon orgasme.
LA PLACE Où TU T’ECOULES. Et à cet endroit, je t’aime, de
toutes mes forces.